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La Sahti : un riche élixir au cœur de la forêt finlandaise

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Ilkka Sipilä, propriétaire et brasseur chez Hollolan Hirvi, profite de son sauna avec vue sur les champs

La véritable bière fermière, produite par des fermiers à partir d’ingrédients cultivés sur la ferme et éventuellement bue sur la ferme, existe encore. Le consommateur occidental aime bien l’histoire de la Saison belge, devenue le type de bière phare pour ce mouvement de retour à la terre, de rapprochement à sa localité. Mais la Saison fermière n’existe plus en Belgique depuis l’avènement de l’industrialisation et des Guerres Mondiales. Ceci dit, je crois avoir prouvé ces dernières années que la bière fermière est toujours présente sur la planète. De l’Himalaya aux pays baltes, des Andes à la Scandinavie, elle vit bel et bien à l’écart du monde ultra-capitaliste, sur les fermes et dans les maisons de ceux qui les brassent selon leurs traditions familiales respectives. Un de ces styles de bière est la Sahti. Des centaines de familles en brassent toujours dans les campagnes boisées des régions autour de la ville de Tampere, à quelques heures de route au nord de la capitale, Helsinki.

DE MARIAGES ET DE NUDITÉ

Chez la famille Viheroja, on brasse de la Sahti près d’une dizaine de fois par année. Au moment où je suis passé, le brassin du jour était destiné à un mariage d’amis. Le père Olavi brasse grosso modo la même bière que son père et son voisin d’enfance brassaient. C’est une bière richement maltée, très peu gazéifiée, dans laquelle les céréales et leurs sucres généreux (densité finale de 1.033) sont équilibrés par les phénols épicés de la levure à pain et le thé de houblon. Le tout est conçu dans la pièce donnant sur l’ancienne étable où des vaches ruminaient tranquillement il y a quelques années. Depuis, Olavi a pris sa retraite. Mais il continue de brasser de la Sahti, bien sûr. Après tout, c’est un des champions nationaux les plus primés.

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C’est qu’à chaque année, au mois d’août, un grand rassemblement est organisé afin de couronner la meilleure Sahti. Olavi représentait encore une fois son district cette année, après avoir gagné la finale locale. Mais il s’est fait ravir le trophée – un énorme verre communal en bois gravé au même titre que la Coupe Stanley – par un autre brasseur expérimenté : Kari Harju, de Pori. La Sahti de Kari était si riche qu’elle devenait visqueuse. Imbue de seigle cru et d’avoine crue, elle tapissait le palais tellement généreusement qu’elle a plu aux juges tel un verre de sirop d’érable chaud donné à des enfants. Mr. Harju, retraité de la construction, n’a plus de brasserie chez lui, mais est membre de la brasserie communautaire Sahtiopisto (L’Académie du Sahti). Comme près de 100 autres brasseurs, il conçoit sa bière traditionnelle dans de vieux équipements laitiers reconditionnés et ne la brasse que pour des anniversaires, des funérailles, etc.

À l’est du grand lac Päijänne, un autre brasseur expérimenté s’adonne à la conception de Sahti, mais celle-ci est chauffée aux roches à sauna lors de l’empâtage. Conçue sur la ferme familiale construite en 1725, Ilkka Sipilä est de la neuvième génération des Sipilä à exploiter les terres. Contrairement à ses ancêtres qui faisaient sécher leur malt dans le sauna – et qui donnaient même naissance dans le sauna – Ilkka a modernisé la cabane pour en faire un sauna à fumée. Il ne se gêne pas non plus pour y inviter ses convives à se dévêtir avec lui et à suer de longues minutes dans leurs costumes d’Adam avant d’aller se rafraîchir au grand vent des champs d’orge environnants, verre de Sahti à la main. Un vrai bourreau, quoi.

Suite la semaine prochaine dans laquelle on découvrira que l’importance culturelle de la Sahti dans certaines régions de Finlande est telle qu’elle saoule les prêtres et fait gémir les vaches.

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Olavi Viheroja, deux fois vainqueur du championnat national des brasseurs de Sahti

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