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Éthiopie

Les richesses de l'Éthiopie - le Tej (suite)

TejServer
Serveur chez Four Sisters, à Gondar, nous servant le Tej de la maison

La cuisine de l'Éthiopie sent si bon qu’on se met à saliver avant même de savoir ce qu’on mange. Même la crêpe de teff (appelée « injera »), que l’on utilise autant comme ustensile que source de calories, partage des saveurs riches équilibrées par une acidité surprenante. Et que dire des mijotés bien épicés, de la viande crue hyper tendre que l’on trempe dans une sauce épicée et grasse... On ne se surprend pas alors lorsqu'on découvre que le miel éthiopien, provenant souvent du nectar de la fleur endémique adey abeba, est une bombe aromatique. Très cru et hyper dense, muni d’arômes de fleurs et de fumée, ce miel ne pourrait tout simplement pas être à la source d'hydromel timide.

> On croise plusieurs postes de contrôle de fortune sur la route, bloqués par une simple corde tendue à un environ mètre de hauteur, tenue par un gars avec une mitraillette, habillé en habit de l’armée… Je me demande à chaque fois, sans trop vouloir y penser longuement, si ce sera véritablement un gars de l’armée cette fois-ci…

Lorsqu’un homme éthiopien veut courtiser une femme, il peut lui dire : « vous êtes un miel d’octobre ». C’est un compliment à la hauteur de l’ingrédient, à la fois puissant et raffiné, tout comme c’est une invitation… à boire du Tej, probablement.

GeshoSaleswoman

Nul doute, le miel éthiopien, cru, rempli de cire, de propolis et d’impuretés, fumé par le feu de bois utilisé pour l'extraire, densément sucré et empreint du caractère floral qui fait sa signature, est difficilement imitable. La fleur la plus réputée pour son miel à Tej porte le nom ‘adey abeba’ (bidens macroptera est le nom scientifique). Encore une fois, une fleur endémique à l’Éthiopie. Mais le Tej ne doit pas nécessairement être fabriqué à partir de son miel. Ceci dit, si on a la chance de passer par l’Éthiopie à la fin de l’automne ou en hiver occidental, il y a de fortes chances que notre Tej soit fait à partir de miel de cette belle fleur jaune serin.

> Malgré la population hyper dense et l’espace restreint en ville pour se mouvoir, tout le monde est calme et respectueux d’autrui. Personne ne démontre ne serait-ce qu’une once d’agressivité. De toute beauté.

La recette pour faire du Tej est relativement simple. Ceci dit, il y a 100 millions d’habitants en Éthiopie. Et il y a plus de 80 groupes ethniques différents (les Amharas, Tigrinyas et Oromos forment tout de même la grande majorité de la population). Alors le nombre de recettes différentes doit être, en réalité, astronomique. Voici quelques étapes très importantes dans la conception du Tej. Les proportions varient énormément selon le degré d’alcool et la sucrosité finale désirée, alors gardons le cap sur la simplicité.

  1. Obtenir un miel floral cru hyper dense, rempli de propolis, de cire, etc. La ruche fondue, ou presque.
  2. Trouver du gesho (rhamnus prinoides), un arbuste africain surtout présent en Éthiopie et en Éritrée, mais semblable au nerprun poussant sur le continent européen. Les branches et/ou les feuilles feront l’affaire.

> Je me laisse hypnotiser par le soleil iridescent se couchant tranquillement derrière des pics rocheux aux allures de Grand Canyon… Puis un petit gars vient pisser au grand vent directement dans mon champ de vision.

  1. Faire une tisane de gesho en mélangeant les branches et/ou les feuilles à de l’eau. Pour ceux voulant faire une version sauvage, le gesho contiendra les levures nécessaires à la fermentation.
  2. Rajouter cette tisane à la masse de miel cru remplie d’impuretés jusqu'à obtention de la texture désirée.
  3. Être patient et attentif (ça peut prendre une semaine comme quatre). Une fois la fermentation amorcée, ça va vite et les dégâts menacent!
  4. Demander à sa voisine si le début de la fermentation tarde. C’est commun chez les Éthiopiens de garder un contenant de levain en forme pour le prochain brassin.

Pour vous donner une idée des variations possibles, voici une recette détaillée, en anglais thank you very much, avec quelques différences notables.

> J’avais acheté un vol direct pour revenir à Addis Ababa. Mais, surprise ! La compagnie aérienne a décidé le matin même, sans m’avertir, de faire une escale et ce, dans le sens inverse d’Addis Ababa. J’arriverai donc trois heures en retard, sur un vol d’une durée initialement prévue de 50 minutes. Faut faire avec. J’en profite pour me détendre en écoutant un excellent album de Getatchew Mekurya. De toute beauté.

Heureusement pour nous qui ne pourront jamais, même en visitant le pays, rencontrer un à un des centaines d’Éthiopiens, voici quelques chercheurs qui ont eu la chance de mettre la main sur des centaines d’échantillons de Tej.

Pour commencer, un court texte de l’Université de Mékélé, dans le nord-est de l’Éthiopie, sur les vertus médicinales surprenantes du gesho.

Ensuite, un trio de chercheurs de l’université d’Addis Ababa qui ont la chance de travailler sur rien de moins que 200(!!) échantillons de Tej. Téléchargez le document sur ce lien pour en apprendre sur l’énorme variation possible de cette boisson divine.

Le même trio a par la suite travaillé en laboratoire de microbiologie pour identifier les ferments qui travaillent pour transformer le miel cru en Tej.

Puis, c’est un grand plaisir de lire ce professeur de l’université de Pittsburgh, de toute évidence très intéressé par le produit, qui a publié 8 articles sur le Tej.

> On traverse un gigantesque camp de réfugiés éritréens. J’aperçois une énorme scène tout près se faire construire pour un spectacle bénéfice. Je me sens comme un intrus, à la puissance mille.

Finalement, j’aimerais vous confier que des échantillons de Tej ont été envoyés chez mes amis de Le Labo – Solutions Brassicoles, à La Pocatière. On devrait avoir des idées bientôt de ce qu’il y a comme ferments et comme bactéries acidifiantes là-dedans… Et, surtout, le tout devrait être disponible pour tous les brasseurs curieux d’ici quelques mois.

Dans le cadre du prochain article que vous trouverez ci-dessous, on observe la culture brassicole éthiopienne. Parce qu’il y a littéralement des milliers et des milliers de brasseuses au pays, suivant des recettes issues d’une époque où des personnages religieux clés étant encore en vie...

TorpedoTejbet

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