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Bhoutan

La Bang Chang, bière de blé du Bhoutan

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Ferme classique du Bhoutan, en mode autosuffisance autant en terme de nourriture que de production d'alcool.

Sur une ferme typique au Bhoutan, l’architecture traditionnelle réservait le rez-de-chaussée aux animaux, l’étage pour la famille et l’espace entre l’étage et le toit au séchage et à l’entreposage du grain et des vivres. Aujourd’hui, les milliers de fermiers de ce pays que l’on surnomme la « terre du dragon » vivent dans ces mêmes superbes bâtiments colorés aux allures de temples rustiques. Mais les animaux ont généralement été relocalisés sous leur propre toit. Le grain lui, souvent du blé et du riz rouge, se retrouve souvent dans cet entretoit à l’air libre ou au rez-de-chaussée nouvellement libéré. C’est à partir de ces céréales, surtout le blé, que la Bang Chang est brassée.

LA BANG CHANG, OU COMMENT BRASSER DE LA BIÈRE À L’ENVERS

Dans le monde moderne occidental, on produit un moût à partir d’un mélange d’eau et du sucre de céréales. Ensuite, on fermente ce liquide, changeant légèrement sa texture en l’asséchant et en lui rajoutant une gazéification. De leur côté, les fermiers du Bhoutan suivent une recette qui n’a clairement jamais été influencée par les méthodes de brassage de l’Ouest. Pour faire leur rafraîchissante Bang Chang, ils s’inspirent plutôt de la cuisine asiatique et de la fermentation à sec et sans oxygène typique à plusieurs alcools de ce continent.

Kinley

Les premières étapes dans la confection de la Bang Chang sont les mêmes que pour la Sin Chang, leur bière de blé plus riche et alcoolisée. Aucune eau n’est donc rajoutée à la céréale, sauf pour sa cuisson initiale. Cette eau chaude se retrouve donc presque entièrement dans le blé cuit. Une fois la fermentation anaérobique du grain cuit terminée, les brasseuses se retrouvent avec un gruau de céréales fermentées et quelques litres du Sin Chang si prisé (voir l’article précédent pour comprendre comment cette bière est brassée).

Pour produire la Bang Chang, il faut transvider le gruau fermenté (toujours sans eau) dans un petit chaudron de service. C’est à ce moment, et à ce moment uniquement, que l’eau sera rajoutée au mélange. En effet, tout juste avant de servir un verre de Bang Chang à la façon traditionnelle, on doit tremper les céréales fermentées dans une proportion d’eau au goût de la brasseuse (souvent près d’un ratio 50/50). On prend ensuite un petit panier d’osier et une louche, que l’on trempe dans le mélange de céréales flottantes. En poussant le panier vers le bas avec la louche, on réussit à écraser les céréales fermentées et à libérer leur parfum dans l’eau du chaudron. On répète le geste à quelques reprises et, lorsqu’on décide que l’eau a atteint la texture désirée, on sert dans un verre le liquide ayant passé à travers les interstices du panier d’osier, via la louche. Si on résume grossièrement le processus, c’est comme si on brassait à l’envers de nous en Occident. On fermente la céréale avant de la tremper dans de l’eau.

DIFFÉRENCES RÉGIONALES

Même s’il nous a été rapidement évident que le blé était LA céréale prédominante dans la confection de la Bang Chang, nous avons pu témoigner de quelques variations régionales qui existent toujours au Bhoutan.

Dans les régions de Samdrup Jongkhar et de Pemagatshel, dans le sud-est du pays, c’est le maïs, et non le blé, qu’on cultive avant la saison du riz. La Bang Chang de cette région est donc plus souvent qu’autrement produite à base de maïs. Nos quelques dégustations dans ces régions, à Dewathang et Tokorong surtout, ont révélé que la source de sucre semble importer peu sur le produit fini. En effet, où que l’on soit au pays, les ferments typiques à ce type de bière himalayenne dominent le profil gustatif. Bien que la couleur dans le sud-est tirera un peu plus sur le jaune ou l’orangé, le parfum de la Bang Chang demeurera floral et son fruité sera aussi du domaine de la poire et de la pomme. Sans surprise également, sa texture sera soyeuse et nullement gazéifiée, puis son acidité finale sera du même ordre que celle d’une Berliner Weisse délicate (dans les 3,1-3,2 de pH). Comme les autres Bang Changs ‘classiques’ du pays.

Au centre spirituel et géographique du pays, la bucolique région des quatre vallées de Bumthang, on nous avait dit que la Bang Chang était surtout brassée avec du sarrasin, l’ingrédient signature des fermiers du coin. En arrivant sur place, on prend effectivement soin de vous servir de riches crêpes de sarrasin avec les classiques plats à base de riz rouge, de fromage fermier fondu et de piments forts. Ceci dit, après vérification, les Bang Changs du coin sont tout de même brassées à base de blé, sauf quelques exceptions qui mettent en valeur le sarrasin. Ces dernières n’avaient pas du tout le même raffinement que les versions faites avec du blé ou du maïs. Mais les notes fermentaires étaient les mêmes.

CONSOMMATION DE BANG CHANG EN DÉCLIN ?

Avec l’arrivée des bières industrielles à la façon occidentale, comme la Druk 11000, les Bang Chang et Sin Chang sont de moins en moins produites sur les fermes. Une étude produite par le Bureau national des statistiques du Bhoutan en 2003 et en 2007 démontre cependant que dans plusieurs régions, la consommation de Bang Chang subsiste bien (p.43) et ce, peu importe l’âge de la personne. Reste à voir si l’importance culturelle de la Bang Chang, ancrée dans plusieurs rituels bouddhistes et cérémonies familiales, réussira à protéger cette bière de blé malgré la présence croissante de produits industriels à petits prix. Mes hypothèses, dans un article subséquent. 🙂

Bhutan
Panier d'osier et louche pour servir la Bang Chang.

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