Éditorial

La cupcake-isation de la bière, 3e partie

Brew Rebellion
Bel effort, Brew Rebellion. Bel effort… (facepalm)

Le beer geek est en train d’oublier que la bière est composée de céréales

Voici le début d’une conversation impromptue qui a eu lieu entre deux amateurs et nous dans un bar de Montréal il y a quelque temps :

  • Amateurs : « Nous avons suivi les suggestions de votre guide de voyage sur l’Allemagne lors de notre récent passage là-bas. Une question : comment se fait-il qu’ il n’y ait pas vraiment d’IPAs en Allemagne? C’était vraiment décevant à ce niveau! »

  • Nous : « Pour la même raison qu’il n’y a pas de poutine en Inde. Pourquoi cherchez-vous de la poutine en Inde? »

Les IPAs au houblonnage survolté font frémir des milliers d’amateurs en Amérique du Nord. Les bières fermentées avec des levures sauvages de type brettanomyces aussi. Celles mûries en barriques mouillées d’alcool font office de produit de luxe chez les dégustateurs, ces dernières ayant la surprenante habileté de rajouter une confiture alcoolisée au profil final de la bière tel un coulis de Kirsch dans un gâteau Forêt-Noire. Sauf exception, tous ces houblons du Nouveau Monde, ces levures sauvages, ces barriques mouillées d’alcool, ces fruits et ces épices ont le pouvoir de s’accaparer la bière, allant même jusqu’à dominer le produit à l’occasion. Les céréales sont les grandes négligées des amateurs, hypnotisés par le délicieux apport de ces ingrédients tendances (qui sont nullement inintéressants, on l’avoue). Pourtant, il n’y a jamais eu autant de variétés de malt disponibles aux brasseurs. Leurs nuances sont-elles trop subtiles pour le palais moderne habitué à des points d’exclamation à chaque gorgée? Qu’à cela ne tienne, le beer geek suivant ces tendances avec passion est déjà en train d’oublier que la bière, avant tout, est composée de céréales. Qu’on le veuille ou non, le Nouveau Monde et sa révolution brassicole baignent déjà dans l’univers du cupcake et de ses garnitures plus importantes que le menu gâteau qui les soutient.

Les coureur des boires

En visitant des pays brassicoles traditionnels, on comprend rapidement le clivage entre le Nouveau Monde – qui aime utiliser l’expression ‘craft beer’ – et ces scènes vieilles de plusieurs siècles. En effet, suffit de regarder les pointages sur des sites comme Ratebeer et Beer Advocate pour découvrir que le beer geek contemporain ne s’intéresse que très peu aux bières traditionnelles anglaises, allemandes, lituaniennes ou tchèques; des pays brassicoles où la céréale prime et donc où l’on ne soutire pas leur jus sucré uniquement pour servir un autre ingrédient. La sempiternelle Bitter britannique, version real ale (gazéifiée naturellement et soutirée via une pompe à main) met en vedette de beaux malts Marris Otter et des malts de spécialité. Elle est à l’univers de la bière ce que le croissant est à celui de la boulangerie. En Allemagne et en République Tchèque, de superbes malts Pilsener contruisent les Helles, Světlý, Kellerbier, Pils, Heller Bock, etc. Ces styles, en terme de saveur et texture, sont la baguette de pain craquante de la bière.

S’il y a pourtant un ingrédient disponible au Canada (et dans le nord des États-Unis), c’est bien la céréale. Pourquoi n’y a-t-il que rarement une aura de luxe entourant la mention d’un malt vedette dans une bière? Est-ce la faute des brasseries, qui ne mettent que rarement leurs céréales en valeur dans leurs descriptions, si le beer geek ne s’entiche pas des types de malt utilisés? Peut être. Est-ce l’amateur de bière artisanale qui préfère se laisser tenter par des ingrédients aux vertus gustatives plus explosives? Fort probable également. Après tout, la délicatesse et la retenue ne sont certes pas deux concepts qui peuvent définir la scène brassicole du Nouveau Monde.

BallastPoint

Une ardoise remplie d’informations chez l’excellente Ballast Point. Mais un seul ingrédient n’est jamais la vedette des descriptions… Devinez lequel…

La « cupcake-isation » de la bière, cette tendance exagérée vers la multiplication des variations d’une même bière, nous force, consommateurs et dégustateurs plus éduqués, à s’assurer que l’univers que l’on aime tant ne penche pas trop du côté de la pâtisserie insolite. Bien que la bière du jour puisse représenter pour certaines personnes le piment, l’échappatoire, le olé quotidien qu’elles méritent, c’est notre devoir de revenir vers nos produits favoris, simples et bien faits, aussi régulièrement que possible. C’est de cette façon que nous pouvons encourager nos brasseurs locaux à parfaire leur art. Et cet art, avant tout, doit passer par la céréale. N’oublions pas les traditions centenaires et le savoir-faire méticuleux au profit de la nouveauté et l’exubérance. Après tout, une bière est bonne seulement si on veut s’en procurer une deuxième.

Harrach

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