Éditorial

La bière souffre encore d’un problème d’identité dans les médias

Wynkoop Oysters
Une bière brassée avec des testicules de taureau? Excellente nouvelle à publier, n'est-ce pas?

Avez-vous déjà lu des articles sur le fromage dans les grands médias dans lesquels on parlait de ‘jaune-orange’ ou dans lesquels on démontrait à quel point ça pouvait être festif d’en répandre partout sur le plancher? Bien sûr que non. Avez-vous déjà vu des reportages sur le vin ou sur le whisky dans lesquels on se vante de la beauté d’un bouchon, de la facilité avec laquelle on peut caler le contenu d’une bouteille ou d’à quel point c’est plaisant d’en renverser sur la tête de ses amis? Très rarement, vous en conviendrez. Traitée de façon très générale, souvent en surface, la bière, elle, se voit régulièrement réduite à l’extrême simplicité lorsqu’on en parle dans les grands médias. On ne parle d’elle qu’en termes de couleurs, on fait des farces sur la légendaire ‘bedaine de bière’ et on ne parle d’elle en positif que lorsqu’on mentionne l’été et comment c’est bon servi froid, très froid. Que ce soit sur les chaînes télé ou les quotidiens en papier, on la lie trop souvent également à l’alcoolisme – combien de fois utilise-t-on un verre de bière bien rempli – et on fait référence à elle soit avec dérision ou avec remontrance. La bière, même aujourd’hui dans cet ère de révolution microbrassicole, souffre encore d’un problème d’identité dans les médias. Il est grand temps que ça change.

Certes, depuis plusieurs décennies, la bière apparaît dans les médias la plupart du temps grâce aux multinationales brassicoles qui la mettent en valeur dans un scénario irréel de fête où tous exhibent des sourires plus larges les uns que les autres. La beuverie et le sex-appeal sont visées par ces publicités sans demi-mesures dans lesquelles la bière en soi est à peine secondaire. On ne mentionne que rarement que le produit dans la bouteille a des saveurs particulières, une texture appréciable, etc. Et si on le fait, on s’efforce de dire qu’elle ‘descend bien’ et donc ne goûte presque rien. Et elle est ‘sans arrière-goût’, de grâce! Pire, on dit même parfois qu’elle est une récompense . C’est une des techniques marketing les plus tristes de l’industrie alimentaire. Dans le quotidien des bars, restaurants et salons de l’Occident, on sent bien l’essoufflement de cette façon de penser chez une certaine clientèle. Cependant, dans les grands médias, les questions et sujets privilégiés des journalistes demeurent de glace. Même certains grands chefs cuisiniers, lorsqu’interviewés à nos côtés par surcroît, ne trouvent qu’à parler du facteur rafraichissement en ondes. On peut certes pointer du doigt les géantes brassicoles de cette planète et leurs techniques publicitaires douteuses. Toutefois, certains acteurs principaux des multinationales Molson et Labatt, pour ne nommer que celles-là, sont bien conscients que l’image que véhicule leur compagnie n’aide en rien la bière en tant que produit. Cette graine est d’ailleurs solidement plantée dans les hautes sphères de ces entreprises; nous pouvons en témoigner personnellement. Mais l’idée ne se rend toujours pas aux départements marketing. Ce qui affecte plusieurs générations de journalistes qui, admettons-le, peuvent être souvent à l’affût , insolites, etc.

Les coureur des boires

Force est d’admettre que l’identité de la bière est toujours problématique au 21e siècle. À part la clientèle marginale que vous, chers lecteurs, représentez, il existe une masse énorme de la population qui ne sait pas que la bière possède un éventail de saveurs aussi vaste que celui d’une boulangerie-pâtisserie et de tous ses aromates. Mais on sait cependant qu’on y ajoute à l’occasion des testicules de taureau, ou d’autres ingrédients inusités, parce que ces sujets . Certaines brasseries connaissent très bien l’avidité avec laquelle certains journalistes cherchent des pseudo-nouvelles qui feront réagir. Et ces microbrasseurs jouent très bien le jeu. Après tout, très peu de petites entreprises possèdent les budgets nécessaires pour inonder les médias d’information pertinente sur le sujet. C’est donc une façon facile de faire parler d’elles.

Heureusement, le portrait n’est pas entièrement désolant. Au Québec, le journal gratuit Bières et Plaisirs est distribué dans une quantité surprenante de commerces non spécialisés en bière et fait un travail colossal pour la promotion intelligente de la bière de qualité. Vos humbles serviteurs tentons de rejoindre une clientèle néophyte à toutes les semaines dans le Journal de Montréal depuis près d’un an maintenant et ce, à coup de pages complètes par semaine. Catherine Schlager possède une tribune intéressante également dans La Presse. Des dossiers sur la bière apparaissent de plus en plus dans les quotidiens de l’Occident, surtout l’été, faut l’avouer, et motivent les lecteurs à faire preuve de curiosité gustative. Il y a de l’espoir et la situation médiatique est tout de même quelque peu améliorée par rapport au début du millénaire.

Alors que faire pour s’assurer que cette légère évolution devienne plus considérable? Nous devons tous continuer à parler de la bière avec plaisir et avec précision. Surtout sur des forums publics. Continuons d’essayer d’éduquer ceux qui nous entourent lorsqu’ils démontrent une certaine ouverture sur le sujet. Corrigeons ceux qui prononcent des inepties en public, mais demeurons courtois dans nos explications. Adoptons un ton, bref, que nous verrions bien dans une publicité pour un bon fromage. Petit train va loin, surtout quand il se sent léger et rempli d’une mission fort agréable.

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