Éditorial

Brûlés par la bière

Coureurs des boires
Une partie de la file d’attente à un récent Hunahpu Day, à Tampa

La chose ne devrait plus nous surprendre parce qu’elle fait partie de la vie depuis toujours et que notre vie n’est plus si jeune que ça. N’empêche, nous nous surprenons souvent de constater la retraite prématurée de plusieurs amateurs de bières qui semblent pourtant vouer à la bière un véritable culte… Le temps de quelques années du moins. Que ce soit du jour au lendemain ou graduellement, ils passent de lecteurs voraces de blogues en déplacement continu la fin de semaine pour être là où ça compte sur la planète-bière à un statut de désintéressement, voire d’épuisement professionnel. Sachant qu’ils ne pourront jamais tout faire, tout goûter, ils jettent la serviette. Ce sont les collectionneurs de bouteilles vides, les coureurs de festivals, les blogueurs boulimiques, les brasseurs maison faisant trois brassins par semaine, les voyageurs aguerris comme les sédentaires créant simultanément des comptes Fedex et UPS pour envoyer des échantillons de levure ou bouteilles de collection par la poste. Leur cœur bat un jour au rythme de la récolte de houblon pour, le lendemain, jeter son dévolu sur une nouvelle flamme.

C’est tantôt par appréhension de l’alcoolisme, tantôt à cause du décès d’un proche amenant une remise en question. C’est parfois une simple atteinte des limites, d’autres fois par la triste perte de l’excitante adrénaline propre aux premières explorations de l’univers microbrassicole. On peut revoir ses priorités budgétaires ou encore vouloir se consacrer davantage à une nouvelle famille. Qu’importe les raisons, nous nous surprenons toujours d’une telle voracité auto-destructrice. Les buveurs de bières sont majeurs et vaccinés. Ils devraient avoir intérêt à développer un nombre de passions qui leur sied et à les cultiver, les développer, de façon à y établir un réseau de contacts qui les nourrit et leur permet d’atteindre une vie sereine.

Les coureur des boires

Est-ce comme en amour? Certains buveurs ont besoin de vivre de brèves relations très intenses et dès que cette intensité s’atténue, il faut passer à la prochaine passion, répétant sans cesse le même pattern. Nous espérons seulement que ça les rend heureux, mais nous peinons à y croire. Ces amis avec qui l’on partage des dizaines de brassins, quand ce ne sont pas nos secrets intimes, et qui le mois suivant, nous abandonnent pour se consacrer à une nouvelle activité… ces amis doivent constamment rebâtir. Plutôt que de gravir un à un les échelons menant au sommet de la montagne, en persévérant face aux obstacles, ils choisissent d’abandonner à mi-chemin et de réessayer un nouveau chemin, en espérant que ce soit le bon.

Heureusement, maintenant, nous les voyons souvent venir d’avance. Leur intensité semble simplement surnaturelle, insoutenable à long terme, en déséquilibre avec le reste de leur existence. À eux, ainsi qu’à tous nos chers lecteurs, nous avons envie de dire : restez zen. C’est merveilleusement bon, la bière, mais ça restera toujours accessible, toujours disponible et sur l’ensemble de votre longue route sur l’univers de la bière, prenez donc la peine, parfois, d’emprunter la route de campagne plutôt que de constamment privilégier l’autoroute. La vitesse tue. Les sprinteurs ne gagnent jamais le Tour de France. Qui plus est, vous ne goûterez jamais à toutes les bières les plus prisées du monde. Jamais. Versez-vous une pinte d’une bière que vous adorez déjà et relisez ces dernières phrases.

Dans l’espoir que certains reçoivent ce conseil, espérons qu’un jour, comme les vêtements à la mode d’il y a 20 ans qui redeviennent in, la bière redeviendra au centre des priorités passionnelles de nos amis disparus. Nous pourrons nous regrouper à nouveau et organiser une grandiose dégustation à la sauce nostalgique. Et nous pourrons enfin leur demander si leurs écarts de passion en ont valu la peine.

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