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Les brasseries communautaires existent encore au pays de la Zoiglbier

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L'étoile du brasseur au haut de la porte signifie que la Zoiglbier est en service

Dans un coin reculé de la Bavière, loin des circuits touristiques et du regard des amateurs d'Oktoberfest, une culture-bière plusieurs fois centenaire évolue au rythme d'un temps révolu. Aucun brasseur ne fait concurrence à son voisin. Tous ouvrent leurs pubs selon un horaire précis s'assurant que chacun au village puisse opérer sans se soucier d'un autre brasseur vendant sa bière au même moment. Le même genre d'horaire existe pour le partage de la brasserie en soi. Une brasserie, soit-dit en passant, qui met à profit des équipements et des méthodes d'une autre époque. Tout est chauffé au feu de bois. Le moût est refroidit sur douze heures dans un bac refroidisseur ("coolship") comme pour les Lambics belges. Et ensuite, chaque brasseur transporte le moût chez lui afin de fermenter et faire mûrir sa bière à sa façon. Aucune de ces bières n'exhibe des notes animales ou très acides comme dans ces Lambics. Au contraire, chacune des lagers produites ici -- lagers que l'on nomme toujours "Zoiglbier" -- est d'une netteté désarmante.

Cinq villages -- Windischeschenbach, Neuhaus, Mitterteich, Eslarn et Falkenberg -- opèrent encore une de ces brasseries communautaires. Dans un monde occidental hyper industrialisé et compétitif, ces bourgades de la région du Oberpfalz allemand ont pris la décision de continuer à faire ce qu'ils font depuis le Moyen Âge. Partager. S'entraider. Et vendre le fruit de leurs labeurs à des prix dérisoires (1,90 euros la pinte en 2018) afin qu'un plus grand nombre puisse en profiter. C'est le nec plus ultra de l'esprit communautaire brassicole. Et pas besoin de visiter des nomades dans les montagnes de l'Asie centrale pour témoigner de ce petit paradis.

ZoiglCoolship

Un brassin de Zoiglbier qui défit les normes du 21e siècle

Il y a près de 800 ans, 140 maisons à Windischeschenbach avaient le droit d'utiliser la brasserie communautaire du village. C'était l'éopque où la bière était surtout conçue pour les fermes et ceux qui y travaillaient. Aujourd'hui, les besoins ayant grandement changé, seulement neuf maisons ont la permission de brasser (oui, la loi stipule que c'est la maison qui a le droit et non ses habitants). Le brassin type exige 500kg de malt d'orge afin de produire environ 2800 litres de bière. La recette demande un mélange de malts de type Pilsener et Munich. L'empâtage commence habituellement dans les 42 degrés Celsius et, pendant 3 heures, monte tranquillement vers 72 degrés, aidé par trois décoctions. Tout est chauffé par des bûches de bois. Par la suite, le bouillon dure 90 minutes. C'est à ce moment qu'on rajoute une quantité variable de houblons cultivés dans la région de Hallertau. Finalement, la magie a lieu au dernier étage du bâtiment. C'est là que le moût de bière est envoyé... pour refroidir à l'air libre!

En effet, le moût est exposé à la brise nocturne dans un grand bac refroidisseur. Cette méthode de refroidissement issu d'une ère pré-réfrigération peut paraître terriblement inefficace et périlleuse. Toute personne ayant visité une brasserie de Lambic en Belgique sait effectivement que c'est à ce moment que le moût peut être inoculé de levures sauvages et de bactéries acidifiantes qui altèrent grandement le goût et la texture de la bière. Mais miraculeusement, après 12 heures dans ce bac peu profond, le moût de Zoiglbier à 11,8 degrés Plato est transféré sans semblance de contamination aucune. Chaque brasseur transporte ce moût dans une cuve vers sa maison personnelle où il supervisera la fermentation sur 10 jours; une fermentation provenant de levures à lager gardées chez des brasseries commerciales de la région. Après une période de lagering de quelques semaines (variable selon le brasseur et le temps de l'année), la bière est mise en service dans le zoiglstube (pub familial) selon le calendrier établi par le village. Parce que oui, même l'horaire des pubs est géré de façon communautaire.

Comment faire pour déguster de la Zoiglbier?

Étonnamment, chaque pinte de Zoiglbier dégustée, que ce soit à Windischeschenbach, Neuhaus ou Mitterteich, présente des notes de céréales à peine rustiques, une petite touche caramélisée et un houblon noble, terreux et feuillu, afin de sceller chaque gorgée. Certaines proposent également quelques soupçons d'orange, probablement grâce aux variétés de houblon choisies. Dans aucun cas la bière se termine en une acidité quelconque. Aucune trace de brettanomyces (levures sauvages) n'y sévit non plus. On pourrait rêver à la rencontre d'un brasseur de Lambic et d'un de ces brasseurs de Zoiglbier qui, dans le fond, travaillent avec des moyens très similaires pour des résultats complètement différents. Ceci dit, un homme de Neuhaus nous faisant visiter la brasserie de son village nous a confié qu'il y a quelques décennies, il était plus commun de tomber sur une Zoiglbier acidulée. Tellement, que certaines personnes du village attendaient au samedi avant de visiter le zoiglstube, question de pouvoir tendre l'oreille lors des conversations de la veille. Ceux qui avaient le courage d'aller boire chez un brasseur plus erratique le vendredi leur diraient sûrement si la bière était acide...

Il y a quelques années, il était facile de goûter à un grand nombre de ces Zoiglbiers en une visite. S'agissait de se présenter à la "journée des brasseries communautaires" (Tag der Kommunbrauhaus) à l'automne. Les deux villages de Windischeschenbach et Neuhaus, collés l'un sur l'autre, ouvraient tous leurs zoiglstube le même jour, permettant aux voyageurs et citoyens de goûter à près d'une douzaine de Zoiglbiers en une journée. La population de ces villages doublait presque lors de cette journée de festivités. Plusieurs années d'excès plus tard, les habitants de ces deux contrées voisines se sont réunies et ont décidé de ne plus organiser cette fête de la Zoiglbier. Trop de gens urinaient dans les rues et étaient malades...

Alors comment faire aujourd'hui pour découvrir dans le respect ce bastion de la bière communautaire? Facile. Ce sont des Allemands après tout. Tout est bien organisé. Le calendrier d'ouverture des "zoiglstube" (ces pubs à Zoiglbier) est disponible en ligne et ce, plusieurs mois à l'avance. Voyez par vous-mêmes.

Si l'Allemagne, un pays européen occidental puissant, recèle encore de ce type de trésor, que pourrions-nous découvrir dans des régions plus reculées du continent? À suivre...

ZoiglGang
L'esprit de communauté règne dans l'univers de la Zoiglbier

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